Le paradoxe du couvre-feu au Gabon : liberté promise, liberté refusée ?
Le paradoxe du couvre-feu au Gabon : liberté promise, liberté refusée ?
C’est l’un des sujets les plus débattus sur les réseaux sociaux et dans les rues du Gabon : la persistance du couvre-feu instauré par le régime de transition. La rédaction de Gabon 2025 a reçu d’innombrables messages, questions et témoignages exprimant une inquiétude croissante à ce sujet. Depuis son arrivée au pouvoir, Brice Oligui Nguema a maintenu un couvre-feu au Gabon sous des prétextes sécuritaires qui questionnent. N’est-il pas paradoxal de restreindre la liberté quand on est arrivé au pouvoir en promettant rendre cette dernière au peuple ? Que craint réellement Oligui ?
Un couvre-feu maintenu… au nom de la sécurité ?
Le Gabon s’est réveillé le 30 août 2023 sous un ciel politique nouveau, marqué par l’éviction d’Ali Bongo et l’installation du Général Brice Oligui Nguema à la tête d’une transition militaire. Dès les premières heures de ce coup d’État, une mesure sécuritaire inattendue est imposée : le couvre-feu. Cette restriction, bien que légitimée au départ par des craintes de débordements post-coup d’État, semble devenir une règle figée, loin d’une simple mesure provisoire. Et pourtant, plus d'un an après cette prise de pouvoir, le couvre-feu persiste, évoluant légèrement en fonction des protestations et des besoins de l’économie, sans pour autant disparaître.
D’abord instauré de 18 heures à 6 heures du matin, il a été allégé face aux pressions économiques et sociales, particulièrement à Libreville, la capitale où le mécontentement est palpable. Les autorités ont récemment opté pour un couvre-feu surprenant, de 2h à 5 heures du matin, en invoquant la protection de la sécurité publique. Toutefois, alors que la sécurité semblait être la raison initiale, ce motif commence à perdre en crédibilité : les rues sont calmes, la population aspire au retour à la normale et les forces de l’ordre ne sont pas sous la même pression qu’aux premières heures du coup d’État.
« Le #Gabon est sous #occupation. Quand il y a un #couvrefeu depuis un an, ce n’est pas la #libération, c’est l’#occupation. Quand vous avez des #militaires qui occupent des #postes de #civils ce n’est pas la #libération, c’est l’#occupation » Alain Claude Bilie By Nze… pic.twitter.com/LcBcZiba7y
— MPAGM (@Mpagm2014) October 5, 2024
Le malaise d’une population sous contrainte
À Libreville, le sentiment d’agacement et de frustration face à ces mesures reste vif. Ce sentiment se manifeste à travers les discussions sur les réseaux sociaux et les échanges dans les rues, où la mesure est souvent qualifiée d’« ordre imposé ». Plusieurs témoignages recueillis par notre rédaction pointent le paradoxe d’un pouvoir qui promet la liberté, tout en restreignant le droit de circuler librement. Certains dénoncent même une forme de contrôle social, une manière déguisée de surveiller les mouvements de la population, en particulier les jeunes, déjà confrontés au chômage et à des perspectives économiques moroses.
Selon RFI, la population exprime un malaise croissant, accentué par la dissonance entre le discours officiel et les réalités quotidiennes. Bien que le régime de transition clame œuvrer pour le bien du peuple, cette mesure coercitive impose une atmosphère d’« ordre imposé », où la liberté promise se voit assombrie par des restrictions nocturnes jugées arbitraires. Certains y voient même une technique de contrôle social, un moyen de garder la main sur les mouvements de la population, surtout les jeunes, majoritairement chômeurs et déjà confrontés à de nombreuses difficultés économiques.
De plus, cette restriction impacte directement les acteurs économiques. Les commerces, bars et restaurants subissent de plein fouet les conséquences du couvre-feu. Les entrepreneurs, qui peinent déjà à relancer leurs activités après les incertitudes liées au changement de régime, se voient limiter leurs horaires d’ouverture, ce qui freine leur chiffre d’affaires et alimente un ressentiment croissant envers les autorités de transition. La mesure, censée préserver l’ordre, devient paradoxalement une source de désordre latent, où méfiance et frustration s’entremêlent.
Liberté en trompe-l’œil et célébrations sous surveillance
La persistance de ce couvre-feu prend une tournure encore plus cynique lors des fêtes nationales et des commémorations. En août dernier, lors de la célébration de la « Journée de la Libération », qui marque l’éviction de Bongo et l’accession d’Oligui au pouvoir, les autorités ont momentanément levé le couvre-feu pendant deux jours pour permettre au peuple de célébrer. Un geste applaudi, certes, mais qui n’a fait que renforcer l’impression de liberté contrôlée : une « permission » temporaire qui rappelle que la liberté, dans le Gabon actuel, dépend encore et toujours du bon vouloir des dirigeants. Gabonreview qualifie d’ailleurs cette levée temporaire de « liberté en trompe-l’œil » : une illusion de libération qui ne tient que le temps d’une célébration officielle, où l’État reprend rapidement les rênes dès que les projecteurs s’éteignent.
La question de la légitimité de ce couvre-feu reste entière, et son maintien dans le temps soulève des inquiétudes sur les intentions réelles de la transition. Ce contraste entre la liberté promise et la réalité des restrictions continue de diviser l’opinion publique. Que ce soit pour les simples citoyens ou les opérateurs économiques, cette mesure semble de moins en moins justifiable. En toile de fond, le maintien du couvre-feu peut apparaître comme un rappel d’autorité, une manière pour les nouveaux dirigeants de signifier qu’ils gardent le contrôle, même en période de soi-disant transition vers une démocratie renouvelée.
Un futur incertain pour la liberté de mouvement
Les témoignages reçus par la rédaction révèlent une perception de plus en plus répandue : le couvre-feu symbolise une « liberté en trompe-l’œil ». Les citoyens s’interrogent sur la légitimité de cette restriction prolongée, considérée comme un obstacle à la vraie transition démocratique. La dissonance entre les promesses de liberté et les contraintes imposées quotidiennement suscite la désillusion d’une partie grandissante de la population.
En fin de compte, la situation actuelle pose une question fondamentale : jusqu’où les autorités de transition sont-elles prêtes à aller pour maintenir ce contrôle ? Alors que la population aspire à tourner la page de l’autoritarisme, cette mesure répressive laisse planer le doute sur la sincérité des engagements de la transition. Ce couvre-feu symbolise un paradoxe : l’ambition de liberté et de renouveau proclamée par le régime contraste fortement avec une gestion qui se veut rassurante mais reste profondément restrictive.
Pour l’heure, la levée totale du couvre-feu n’est pas à l’ordre du jour, laissant les Gabonais face à un choix cornélien : espérer que ce pouvoir militaire ne soit que temporaire ou bien se résigner à vivre sous un régime dont la liberté reste encore et toujours sous haute surveillance.