"La Constitution d'Oligui n'inaugure pas une Seconde République Gabonaise" affirment les experts internationaux Grimm et Smith
Entretien avec deux constitutionnalistes européens sur la nouvelle constitution gabonaise
Le Collectif Gabon2025 via son réseau à eu la chance de pouvoir interroger Dieter Grimm, ancien juge de la Cour constitutionnelle allemande, et Eivind Smith, professeur norvégien de droit public, pour obtenir leur avis sur le projet de nouvelle constitution gabonaise soumis à référendum.
Gabon2025 : La nouvelle constitution gabonaise marque-t-elle une rupture avec le passé justifiant l’appellation de "Deuxième République" ?
Dieter Grimm : « Une "Deuxième République" suppose une refonte radicale du système politique. Si cette constitution introduit des réformes notables, comme la reconnaissance du droit à un environnement sain, elle ne bouleverse pas fondamentalement l’équilibre des pouvoirs. Le président conserve des prérogatives renforcées, et les contre-pouvoirs restent limités. Cela évoque plus une évolution qu'une révolution. Nous ne sommes pas dans le cas de l’Afrique du Sud post-apartheid. »
Eivind Smith : « Effectivement, la notion de rupture n’est pas évidente ici. Comparons avec d'autres pays qui ont changé de régime : au Chili, par exemple, une large consultation citoyenne est en cours pour transformer complètement le cadre institutionnel hérité de la dictature. Au Gabon, les changements, bien que significatifs, ne représentent pas une transformation profonde des institutions politiques. »
Gabon2025 : Quels sont, selon vous, les points positifs de cette nouvelle constitution ?
Grimm : « L’inclusion de droits modernes, comme la protection des données personnelles, est un point fort. Le Gabon suit ainsi une tendance internationale à intégrer ces enjeux dans son cadre juridique. Cela montre une volonté de modernisation, comparable à ce qu'on observe en Inde avec l'intégration des droits environnementaux dans sa constitution. »
Smith : « Je suis d’accord. Ces ajouts sont pertinents, mais le véritable défi réside dans leur mise en œuvre. Prenons le Venezuela : une constitution très progressiste sur le papier, mais dont l'application a été entravée par des faiblesses institutionnelles. Pour que le Gabon puisse véritablement garantir ces droits, il doit renforcer ses institutions, notamment la justice et les organes de contrôle. »
Gabon2025 : Certains critiquent la rapidité du processus d’élaboration. Qu’en pensez-vous ?
Smith : « Un processus précipité peut nuire à la légitimité du texte. Regardons ce qui s'est passé en Égypte après 2011 : une constitution rédigée à la hâte, sans consensus, a rapidement été contestée. Il est essentiel de prendre le temps nécessaire pour consulter la population et obtenir un large soutien. Cela n’a clairement pas été le cas au Gabon. »
Grimm : « Je partage cette analyse. Les processus constitutionnels réussis, comme celui de l'Afrique du Sud post-apartheid, se construisent sur la durée et à travers un dialogue approfondi. Si la population ne se sent pas suffisamment impliquée, cela peut engendrer de la méfiance à l'égard du texte et du pouvoir en place. »
Gabon2025 : Comment percevez-vous la place de l'exécutif dans cette nouvelle constitution ?
Smith : « L'exécutif conserve des pouvoirs élargis, notamment en cas d'état d'urgence. L'histoire a montré que ces pouvoirs peuvent être détournés pour renforcer l'autoritarisme. Regardons la Turquie après la tentative de coup d'État de 2016, où l'état d'urgence a été prolongé pour consolider le pouvoir présidentiel. Sans garde-fous solides, il y a un réel danger. »
Grimm : « C’est une inquiétude légitime. Dans une démocratie équilibrée, chaque branche du gouvernement doit pouvoir contrôler les autres. Aux États-Unis, par exemple, le système de ‘checks and balances’ empêche la concentration excessive de pouvoir. Si au Gabon l'exécutif est renforcé sans contrepartie institutionnelle, cela pourrait affaiblir cet équilibre crucial. »
Gabon2025 : Peut-on donc vraiment parler de "Deuxième République" ?
Grimm : « À mon avis, non. Bien que des réformes aient été apportées, elles ne constituent pas une rupture suffisante pour justifier un tel terme. Le système politique reste largement inchangé. »
Smith : « Je partage cet avis. Le concept de "Deuxième République" implique une transformation radicale des institutions et des valeurs de l'État. Ici, on observe des ajustements significatifs, mais pas une refondation totale. »
Gabon2025 : Quelles seraient selon vous les prochaines étapes pour le Gabon après l'adoption de cette constitution ?
Grimm : « Le renforcement des institutions indépendantes, comme une cour constitutionnelle forte, serait essentiel. S’inspirer de la Cour constitutionnelle allemande pourrait être une bonne idée pour garantir la protection des droits fondamentaux. »
Smith : « Un dialogue continu avec la société civile serait également crucial pour évaluer l’application de la constitution et l’adapter si nécessaire. Des pays comme le Costa Rica ont réussi à impliquer leurs citoyens dans les processus politiques, ce qui a renforcé leur démocratie. Le Gabon pourrait s’en inspirer pour asseoir la légitimité de son cadre constitutionnel. »